NON, LA
VITESSE NE TUE PAS !
Par Jean-Louis Rallu : de l'Institut national d'études
démographiques
Science et Vie, n°888 (Septembre 1991),
une excellente lecture par ailleurs!
Les limitations de vitesse n'ont pas
du tout les vertus que leur prêtent les pouvoirs publics : l'étude des statistiques
indique, bien au contraire, qu'elles sont plus dangereuses que les excès de vitesse. Si
l'on s'obstine à les maintenir, on ne descendra pas au-dessous du seuil tragique de 10000
morts et de dizaines de milliers de blessés par an. Les spécialistes le savent. Science
et Vie explique ici ce qu'on nous cache.
L'hécatombe régulière sur les routes de France reste
inacceptable. En 1990, 10300 morts et 50000 blessés graves, dont une bonne partie
handicapés à vie. Dégâts inchiffrables. Parmi les chiffrables, les purement
matériels, une centaine de milliards de francs de dégâts. A l'égard de la sécurité,
la France se place dans le peloton de queue européen, avec un taux de 205 tués par
million de kilomètres parcourus et de 400 tués par million de véhicules, soit le double
de la Suède.
>- - - - -
- - - - - - - Vous en étiez
là - - - -- - - - - - - - - - <
On n'en est certes plus à la croissance régulière qui prévalait jusqu'en
1972, mais le bilan stagne depuis quelques années. La vitesse est désignée comme le
fléau principal. En fait, la vitesse par elle-même n'est pas une cause d'accident,
mais elle constitue une cible idéale. En effet, c'est l'argument le plus parlant,
elle est facile à mesurer, et elle frappe plus les imaginations que l'alcool au volant,
la vétusté des véhicules, l'inexpérience des conducteurs ou leur irresponsabilité. En
cas d'accident, elle est sans aucun doute un facteur aggravant et, quelle que soit la
cause première de l'accident, c'est toujours en fonction de la vitesse que sont mesurées
la force de l'impact et les conséquences sur le véhicule et ses passagers. Enfin, la
pénalisation de la vitesse permet de remplir les caisses de l'État avec une efficacité
remarquable tout en lui donnant bonne conscience.
La répression a donc été mise en place, il y a 18
ans. Pour la justifier, on cite des statistiques péremptoires (on serait tenté de dire
plutôt : préemptives) et l'on désigne à la vindicte populaire le moindre excès de
vitesse, même s'il ne dure que quelques secondes, et même si le passé de son auteur, à
travers le dossier détenu par son assureur, prouve qu'il ne s'agit pas d'un conducteur
dangereux.
Il est donc trop facile d'interpréter les statistiques
dans le sens voulu, alors que les pouvoirs publics, au lieu de généraliser, pourraient
établir la véritable responsabilité de la vitesse. Pour cela, ils ont les moyens - et
sont seuls à les avoir - d'établir une corrélation entre les causes des accidents et
les catégories d'usagers impliqués. Ils ont à la fois les éléments d'analyse et
accès aux fichiers des assureurs.
S'ils s'en donnaient la peine, on s'apercevrait que la
loi est faite surtout pour protéger le conducteur du dimanche des risques d'accident
qu'il est susceptible de provoquer lui-même. Démarche démagogique s'il en est envers
l'usage familial de la voiture, instrument de liberté au service d'un électeur
incidemment pourvoyeur du fisc. Heureusement, il existe quelques bilans qui permettent
d'infirmer les thèses officielles.
Cette contradiction et ce flou incitent déjà à
recueillir avec réserve les assertions officielles. Celles-ci attribuent à la vitesse,
comme à l'alcool, la responsabilité de 30% des accidents graves, selon la Sécurité
routière, et de presque 50% pour le ministère des Transports. Qui croire ? D'ailleurs
l'analyse du mode d'élaboration de ces statistiques laisse vite un sentiment de gène,
même si on n'est pas un spécialiste de la question. Tout se passe comme si la
responsabilité de la vitesse était considérablement et artificiellement majorée.
Le premier argument en faveur de la limitation de vitesse
est que, chaque fois que la limite maximale a été abaissée, la sécurité aurait
progressé. Ce lien de cause à effet perd de son évidence quand on sait que la décrue
de l'hécatombe routière s'était amorcée un an avant les toutes premières limitations
générales, appliquées en juillet 1973 sur l'ensemble du territoire. Cette inversion
spontanée de tendance, qui s'est accentuée à la mi-1973, est due essentiellement au
port de la ceinture de sécurité, alors devenu obligatoire hors agglomération, et de
toute façon adopté à grande échelle avant cette date grâce à une campagne de
sensibilisation.
Si, statistiquement, le nombre d'accidents semble avoir
baissé parallèlement, c'est tout simplement parce que seuls sont comptabilisés les
accidents corporels. Grâce à la ceinture, nombre d'entre eux ont été limités à des
dégâts matériels et ont ainsi échappé au recensement. Cette amélioration provient
aussi, mais à un moindre degré, de l'impact positif qu'ont eu les limitations sur les
conducteurs à risque (1), dans la mesure ou le respect des 90 km/h sur route et des 130
km/h sur autoroute atténue les conséquences des déficiences, de la maladresse ou de
l'inexpérience. Car, cela est vrai, le risque pris par cette catégorie de conducteurs
peut avoir des conséquences beaucoup plus graves à grande qu'à faible vitesse (en cas
de freinage d'urgence, par exemple, le temps de réaction sera trop long chez un
malvoyant). Ce qui implique logiquement que la régression de l'insécurité routière
aurait pu être identique, voire supérieure, si la limitation avait touché uniquement
ces conducteurs à risque, ou si l'on avait instauré des mesures vraiment indispensables,
comme le contrôle régulier de la vue, la neutralisation des chauffards avérés et
l'interdiction des épaves roulantes - ces conducteurs ne sont pas difficiles à repérer
puisqu'il suffit d'examiner le dossier assurances, pour autant qu'il soit suivi. Ou encore
si l'on avait organisé une véritable répression de l'alcoolisme au volant, y compris à
partir de 0,5 g/l, et de la conduite sans permis. Ou enfin, si l'on avait engagé une
réelle chasse aux excès de lenteur, notamment sur la ou les files de gauche, alors que
la formation dispensée tend à installer dans son bon droit celui qui, en réalité,
manque de civisme et de respect d'autrui, comme si la route était à monopoliser et non
à partager. Quant aux voitures vétustes ou mal entretenues qui, aujourd'hui, sont encore
très nombreuses sur les routes, il suffirait, pour s'en débarrasser, d'instaurer un
contrôle technique périodique et sérieux, avec obligation de réparer pour que le
véhicule soit autorisé à circuler. Bref, si l'on s'était livré à une traque plus
efficace - mais plus difficile à décider et à mettre en uvre ! - de
l'irresponsabilité et de la délinquance.
Au lieu de cela, on a nivelé par le bas, pénalisant
ainsi les conducteurs confirmés, car on oublie trop souvent qu'il y en a, et beaucoup.
Pour eux, la vitesse n'augmentait certes pas les risques. Un vieux principe juridique est
qu'une loi qui n'est pas respectée doit être supprimée. Or, malgré la pénalisation
actuelle de l'excès de vitesse, l'augmentation considérable du trafic et le
développement des autoroutes font que pratiquement toutes les voitures dépassent
largement les limitations. Les sanctions ne s'exercent donc qu'au hasard.
On sait même pertinemment que le nombre de voitures à
plus de 90 km/h sur route et 130 km/h sur autoroute est aujourd'hui très supérieur à ce
qu'il était en 1972, du temps de la vitesse libre. Alors que des contrôles
systématiques effectués par la gendarmerie juste avant l'entrée en vigueur de la
limitation avaient indiqué un taux d'à peine 15% de dépassement de vitesse
(aujourd'hui, ces mêmes contrôles donnent entre 17 et 58% selon les voies).
Selon un sondage récemment effectué par l'Auto Journal,
45% des Français avouent dépasser parfois 130 km/h sur autoroute et 71%, 90 km/h sur
route. Le nombre d'accidents aurait donc du augmenter. Non. Le bilan s'améliore depuis
vingt ans, bien qu'il reste en France encore très sombre. Et deux exemples statistiques
prouvent que ce progrès a d'autres causes que les limitations. En Allemagne, en 1985, une
petite portion (6%) du réseau autoroutier a été limitée à 100 km/h pendant un an,
pour des études sur la pollution. Les accidents graves ont alors chuté de 17% sur les
tronçons limités, certes. Toute déduction du rapport sécurité vitesse est annulée
par le fait que c'est exactement le taux d'amélioration qui a été enregistré sur le
réseau à vitesse libre. Conjoncture peut-être exceptionnelle ; les Allemands, cette
année-là, avaient peut-être moins roulé... ou bien étaient-ils particulièrement
inspirés par la prudence. Toujours est-il que les chiffres sont là. Cet exemple est
d'autant plus frappant qu'il semble contradictoire avec le suivant. En Suède, au début
de l'été 1989, la vitesse plafond a été ramenée de 110 à 90 km/h sur les autoroutes.
Résultat : le nombre de morts a plus que doublé par rapport à la même période de
1988. Explication la plus vraisemblable : la proportion de bons conducteurs dans ce pays
doit être très importante, ce qui est d'ailleurs confirmé par les statistiques
générales européennes, et, en conséquence, la gêne occasionnée à ces conducteurs
par la limitation a été plus forte que l'impact positif sur les conducteurs à risque.
Car il faut avoir présent à l'esprit le fait que le réseau routier suédois est
proportionnellement plus restreint que celui de son homologue allemand, et d'une qualité
largement inférieure. Résultat : pour couvrir une même distance, le conducteur suédois
est soumis à plus rude épreuve que son collègue allemand.
Les tenants de la limitation invoqueront alors, sans doute,
une étude de l'AGSAA (2), effectuée en 1986 sur 5 millions de véhicules en France, et
visant à déterminer le taux d'accidents des différentes versions d'un modèle. Le
résultat était prévisible : les voitures puissantes ou à tendance sportive (GTI ou
Turbo en particulier) ont jusqu'à deux fois et demie plus d'accidents que la version de
base. Mais cette statistique n'est pas probante : d'une part, elle ne permet pas de
comparer les taux d'accidents d'un type d'automobile à un autre ; d'autre part, et
surtout, ces indices de fréquence d'accidents ne tiennent compte ni du kilométrage
annuel, ni de l'âge, ni de l'expérience des conducteurs, qui sont pourtant des
éléments essentiels dans l'évaluation du risque. En effet, les GTI et les Turbo, qui
ont un très bon rapport puissance/prix, attirent une importante clientèle de jeunes,
aussi épris de vitesse que dépourvus d'expérience et de maîtrise de leurs excès.
Tant qu'à invoquer l'AGSAA, on devrait citer l'enquête
que cette association avait faite en 1984 sur la dangerosité des gros rouleurs, ceux qui
parcourent plus de 30000 km par an, quelquefois jusqu'à 100000, alors que la moyenne est
de 13700 km. Elle révélait que si le taux annuel d'accidents augmente avec le
kilométrage, il ne lui est toutefois pas proportionnel. Ainsi, lorsque l'on passe de
15700 à 31600 km, c'est-à-dire le double, le taux n'augmente que de 40% et non de 100%
comme on aurait pu penser. Et c'est pourquoi, en fin de compte, la fréquence d'accidents
au kilomètre est inférieure chez les gros rouleurs (30% dans ce cas). Entre les tout
petits rouleurs (700 km/an) et les très gros rouleurs (plus de 60000), les écarts sont
énormes (4 fois plus d'accidents par an mais 17 fois moins d'accidents au kilomètre !).
Cette enquête comptabilise tous les sinistres déclarés, cumulant donc accidents
matériels et corporels. Elle ne fait pas état de la responsabilité des uns ou des
autres dans la gravité des accidents, et ne peut donc refléter la part de dangerosité
attribuable aux dévoreurs de bitume. Mais elle établit en toute logique que ces gros
rouleurs, qui s'avouent hostiles aux limitations et qui sont le gibier tout désigné des
radars, conduisent mieux que les autres puisque, pour un parcours équivalent, ils ont
moins de risque de causer un accident, ce qui est d'ailleurs logique compte tenu du poids
de l'expérience. Cela ne signifie sans doute pas que les gros rouleurs soient
infaillibles : si une part de leurs sinistres dits responsables peut être imputée à
l'infrastructure routière ou à des conditions météorologiques très difficiles, car
ils sont contraints de rouler par tous les temps, ils sont aussi victimes de
l'exaspération causée par les limitations, qui les obligent à passer plus de temps dans
leur voiture, et qui les exposent donc à la fatigue et à la baisse de vigilance. De
plus, nul n'est affranchi du droit à l'erreur, d'autant plus que ces conducteurs sont
souvent contraints de terminer leur trajet à la nuit, période ou le risque d'accident
s'élève notablement. Ce point est d'ailleurs confirmé par les statistiques des causes
d'accidents mortels sur les autoroutes de liaison (grandes distances de ville à ville),
élaborées par l'Association des sociétés françaises d'autoroutes, organisme
indépendant dont les méthodes d'analyse sont beaucoup plus rationnelles et objectives
que celles des pouvoirs publics, dans la mesure ou elles livrent des faits, sans les
interpréter pour faire passer un message. Bien que la vitesse moyenne pratiquée sur ces
autoroutes soit beaucoup plus élevée que sur route, on constate que la vitesse excessive
isolée ne provoque que de 6 à 11% des tués (elle figurait par exemple en 1987 à la
6ème et dernière place des causes établies), bien moins que la fatigue et
l'assoupissement, qui font 20 à 30% des victimes.
Le Livre blanc de la sécurité routière n'en fait pas
moins le procès de la vitesse, affirmant que les autoroutes de liaison (limitées à 130
km/h) ont un taux de tués nettement supérieur (1 tué pour 100 millions de km parcourus)
aux autoroutes de dégagement limitées à 110 km/h (0,7 tué). Cette belle évidence est
malheureusement affaiblie par une omission importante : l'écart provient des
embouteillages ! A preuve, le taux d'accidents corporels est presque deux fois plus
élevé sur les autoroutes de dégagement (dessertes rapides autour des villes), pourtant
censées être moins dangereuses, que sur les autres : respectivement 11,8 et 6,2 en 1990.
Une autre statistique confirme ces résultats : c'est celle qui permet de comparer
l'évolution annuelle, depuis 1983, du pourcentage de voitures de tourisme en excès de
vitesse de jour, et l'évolution du nombre annuel d'accidents corporels survenus
également de jour. Si la thèse de la responsabilité de la vitesse était la bonne, on
devrait s'attendre logiquement à une relation de cause à effet entre la vitesse et la
gravité du bilan ; c'est-à-dire que ces deux indicateurs devraient évoluer non
seulement dans le meme sens, mais aussi à peu près parallèlement. Or, d'une manière
générale, les chiffres varient en sens inverse, c'est-à-dire que lorsque le nombre de
gros excès de vitesse s'accroît, le bilan annuel s'améliore et vice versa ! Et dans les
cas ou ces chiffres ne varient pas en sens opposé, on constate qu'ils n'évoluent pas de
façon proportionnelle. En conclusion, si la vitesse est bien, pour certains dans
certaines conditions, un facteur aggravant, et si les très gros excès de vitesse (ainsi
que beaucoup d'excès moins importants chez les conducteurs à risque) sont condamnables,
la recrudescence des excès de vitesse a une influence globalement favorable sur le nombre
d'accidents corporels, (mais aussi d'ailleurs sur celui des morts), et n'a donc pas de
conséquences négatives sur la sécurité routière, bien au contraire. Il faut bien
reconnaître que c'est le respect des limitations qui est un facteur d'accident. Par la
congestion du trafic, l'énervement de ceux qui les subissent et l'entêtement de ceux qui
s'instaurent en justiciers : Je roule au maximum autorisé, donc nul n'a le droit de me
dépasser et je peux coller à celui qui me précède.
Même conclusion quand on compare l'évolution, depuis
1973, du nombre d'heures passées par la gendarmerie à contrôler la vitesse à celle du
nombre des accidents sur le réseau contrôlé par cette même gendarmerie . Si la vitesse
était vraiment la cause essentielle d'accidents, les deux chiffres, chaque année,
devraient varier en sens inverse puisque la surveillance de la vitesse est en principe
destinée à limiter ou faire régresser l'hécatombe routière. Or, cette évolution a
lieu seulement 7 fois sur 17 (années 1974, 77, 82, 83, 84, 87 et 89). Et de toute façon,
là encore, on constate qu'en 1983 et 1987 il existe un écart important entre les deux
chiffres. Autrement dit, la diminution du nombre d'accidents ne peut pas être imputée à
l'augmentation du volume de surveillance de la vitesse, qui est très faible. Et
l'amélioration du bilan en 1974 est due essentiellement, on l'a vu, au port de la
ceinture et, dans une moindre mesure, à l'impact positif des limitations sur les
conducteurs à risque (peut-être aussi à la baisse importante du trafic consécutive au
premier choc pétrolier).
Force est donc de constater que la répression de la
vitesse n'a pas l'effet que prétendent les pouvoirs publics. Comment en serait-il
autrement quand cette répression s'exerce la plupart du temps en des lieux ou la vitesse
n'est pas dangereuse : descentes, zones droites et dégagées (mais cinémomètre masqué
par une pile de pont !) ? Voire en des circonstances ou, paradoxalement, elle concourt à
la sécurité : dépassement le plus rapide possible pour dégager la voie ?
La découverte d'un radar peut aussi entraîner une
perturbation du trafic par des freinages intempestifs ; et ces radars, bizarrement, ne
sont plus là quand les conditions de circulation peuvent devenir véritablement
dangereuses, sous la pluie, par exemple. Ils perdent donc de leur crédibilité et de leur
efficacité. En revanche, la prévention contre l'alcool aurait une tout autre portée en
matière de sécurité routière. Malheureusement, la carence est flagrante dans ce
domaine. Or tout le monde sait que l'alcool, même à faible dose, rend euphorique. Sauf
s'il s'agit de quelqu'un d'exceptionnel, chez lequel les automatismes sont très
puissants, un conducteur qui a bu va, non seulement enfreindre les règles élémentaires
du Code de la route (conduite à gauche, non-respect des priorités et de la signalisation
en particulier), mais il aura aussi tendance à rouler vite, voire très vite, sans s'en
rendre compte, comportement aggravé par la diminution de ses facultés visuelles, de la
rapidité de ses réflexes et de sa faculté à réagir convenablement face à l'imprévu.
Dans ces conditions, quand un chauffard ivre provoque un accident à vitesse élevée, il
est malhonnête de considérer la vitesse comme l'une des causes de l'accident ; elle
n'est que la conséquence de l'état d'ébriété. Même si l'alcoolémie est légèrement
inférieure à la limite légale de 0,8 g (en France), on ne peut absolument pas dire
qu'elle ne soit pas la cause de l'excès de vitesse, puisqu'il a été établi
formellement que le danger commence sérieusement à 0,5 g/l (limite déjà adoptée dans
bon nombre de pays et qui deviendra probablement la limite européenne). Et pourtant, dans
ce cas, c'est seulement cet excès de vitesse qui sera pris en compte, en l'absence
d'autres causes manifestes, bien sur, pour établir les statistiques. Rappel opportun :
outre l'alcool, de nombreux médicaments (anti-dépresseurs et psychotropes), sans parler
des drogues illicites, induisent l'euphorie. D'autres (hypotenseurs, par exemple)
induisent de la fatigue et une baisse de vigilance (3). Mais leur présence dans le sang
n'est jamais recherchée, ce qui conduit, là encore, à ne retenir que la vitesse comme
cause de l'accident. Et pourtant, une enquête menée en 1988 par le SAMU de Lille a
montré que 15,5% des conducteurs impliqués dans des accidents corporels présentaient
dans leur sang des traces de tranquillisants. De plus, 6,5% de ces mêmes conducteurs
avaient en plus des traces d'alcool. Même si l'on veut les croire honnêtes, les
statistiques officielles ne sont donc pas valables.
Même dans les enquêtes REAGIR (4), il est arrivé qu'on
mélange les facteurs favorisants, déclenchant et aggravants, alors que leur
différenciation a un intérêt fondamental en accidentologie. Si l'on n'ouvre pas le vrai
dossier, on ne conciliera jamais liberté de circulation et droit à la sécurité. En
désignant obstinément la vitesse comme seule coupable, on butera à jamais sur le seuil
inadmissible de 10000 morts par an. Or, peut-on à la fois admettre cette fatalité et se
donner bonne conscience ?
(1) Il s'agit, essentiellement, des débutants ou des
conducteurs peu expérimentés, des personnes ayant une mauvaise vue, des conducteurs
âgés, des possesseurs de véhicules mal entretenus, voire d'épaves roulantes, des
détenteurs de malus importants (c'est-à-dire les habitués des sinistres, même sans
gravité), etc.
(2) Association générale des sociétés d'assurances
contre les accidents
(3) A propos de fatigue, un sondage effectué en janvier
1986 par la SOFRES révèle que 25% des usagers de l'autoroute affirment ne pas faire de
pause repos sur des parcours compris entre 250 et 400 km ! On se demande dans ces
conditions comment les accidents ne sont pas plus nombreux.
(4) REAGIR : initiales de Réagir par des enquêtes sur
les accidents graves et les initiatives pour y remédier, programme lancé à partir de
1983 afin de cerner avec un maximum de précision les causes des accidents. |